Depuis vingt ans, un poème traverse la vie et l’œuvre d’Ashley, Duan Amhairgine (1). Poème légende, poème vespéral, poème éternel, poème feu follet. En explorant le passé, le peintre écoute la très ancienne épopée vieille de trois mille ans s’inscrire dans le présent et le futur, devenir contemporaine.
Ashley franchit le seuil entre dehors et dedans. Il descend en lui-même retrouver ses racines celtiques. Dans les tourbes encore tièdes, les cendres et les poussières, il avance dans le brouillard vers un lieu crépusculaire serrant l’enfant du terrain de jeu de Stonehenge dans ses bras.
Je suis un enfant (2)
Qui, si ce n'est moi, jette un regard furtif hors de l'arche mal équarrie du dolmen?
Ashley parcourt des labyrinthes pour atteindre les fondements de son Histoire, l’envers des choses. Il arrive au pays des sèves inspirées, sa Terre-Mère, son lieu saint, son secret - Duan Amhairghine
Murmure de la terre. Mots chuchotés.
Contre son oreille bat régulièrement le poème inépuisable.
Entre mouvement et suspension, l’artiste avance les yeux mi-clos dans la tiédeur de ce murmure. Il l’accepte, l’intègre dans sa vie, dans son sang, il le sauve, le laisse entrer dans son rêve, il dort avec lui et se réveille dans une aube neuve, abreuvé à la source vive.
« Ce cheminement solitaire, ce séjour dans le milieu celtique c’est la peinture qui m’y a emmené et j’en ressortirai différent » prononce à mi-voix l’artiste.
Je suis un magicien
Qui donc, si ce n'est moi, échauffe les têtes froides?
La peinture d’Ashley occupe un espace de mémoire. Ses tableaux, territoires détachés du texte vernaculaire, sont tout ensemble, symboles et véhicules de passage.
Dans l’alphabet celtique, chaque lettre correspond à un arbre, métaphore du savoir ; une forêt est une bibliothèque.
Le peintre rajeunit le texte. Il le syllabise. Le mot se décompose, se dissout. Les lettres se fraient un passage dans les arcanes de la poésie celtique - le A de Ashley, les chiffres 1, 2 ou 3, échos de la triade celtique – pour accrocher l’intellect du spectateur, le désamorcer et le libérer.
L’anamnèse se ramifie en une langue résiduelle.
La peinture grevée de toute cette somme oubliée accomplit l’écriture dans un sentiment de prophétie latente.
Je suis un cerf de sept combats
Le constructeurde tableaux travaille des mois, des années au rythme de la litanie du chant celtique : « Mon travail, c’est construction, destruction, reconstruction » dit-il. Palimpseste. Dans le courage de la destruction, l’artiste trouve sa liberté, une porte s’ouvre, la main douée d’un génie énergique et libre entame un combat difficile entre la vie et la mort, entre l’hiver et le printemps.
Le partage, le respect des autres et de la nature sont la vérité et l’intention d’Ashley, elles participent pleinement de la vie du tableau.
Au cours d’un long dialogue apparaissent l’arrondi du tumulus, le tétraèdre, le cercle et la pierre dressée. Les histoires millénaires affleurent et s’agglomèrent dans les couches de ciment teinté de thé et de pigments, la monochromie chaude impose sa douceur et son mystère. L’artiste dépose, comme un limon, la poussière de la destruction des autres tableaux. Dans une longue patience, l’ADN du tableau se constitue.
Le poème et la peinture ressuscitent un panthéisme très ancien, quand l’homme appartenait à la terre.
Je suis le flanc de chaque colline
Je suis une colline où se promènent les poètes
Ashley peut faire sien ce qu’écrit la poétesse Etel Adnan (3) à propos de Cézanne : « Sa colline est un miracle de la matière, son identité est dans les devenirs de sa colline ».
Annick Chantrel Leluc, avril 2010
(1) Le"Duan Amhairghine," ancien poème celtique, aurait été chanté, dit-on, par le barde en chef des milésiens alors qu'il posait le pied sur le sol de l'Irlande en 1268 BCE
(2) En gras extrais de Duan Amhairgine
(3) Voyage au Mont Tamalpaïs
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