Paysage simultanés
La peinture de Ola Abdallah fouille aux origines de l’Homme. Dans une quête obstinée, elle donne à voir ce qui est là depuis toujours. La fulgurante patience de la trajectoire de la couleur traverse l’Histoire en silence jusqu’à la source. Les intervalles espace-temps se percutent, laissant jaillir dans la matière les traces d’un souvenir perdu. Le travail méditatif de l’artiste épouse l’attente millénaire des hommes et façonne un autre paysage.
Née en Syrie, d’un père historien de la Mésopotamie et d’une mère psychanalyste, sa démarche d’artiste affirme et réunit ces deux inclinations. L’histoire et l’archéologie sont au cœur de ses préoccupations. La rencontre du passé et du présent fait surgir l’instant dans un futur possible.
La peintre construit un monde abstrait de lignes essentielles - orthogonales, horizontales, verticales, obliques. Les lignes divisent mais permettent aussi la continuité, la contradiction n’est qu’apparente ; elles deviennent lignes de niveau d’une géographie poétique. L’artiste précise : « La ligne c’est ma relation au tableau ».
La peintre nous sort de notre cécité. La lumière, vecteur du voyage, nous transporte dans des régions étroitement superposées, s’infiltrant vers des espèces d’espaces plissés jamais fermés.
Plus les pigments et les encres dilués remontent les strates du temps et les couches archéologiques, plus le regard est entrainé dans leur sillage, de l’extérieur vers l’intérieur, pour ramener le passé à aujourd’hui.
La rupture d’une ligne agit comme le décrochement d’une interrogation, les obliques comme une ponctuation, les vides et les blancs comme une respiration, pour aller encore ailleurs, sans effraction, en douceur.
Souffles des transparences voilées
La sensualité des couleurs rejoint la sensibilité orientale d’Ola Abdallah. Elles sont utilisées sans retenue. Dans cette profusion, quelle finesse chromatique ! Comme on la rencontre dans l’abstraction américaine chez Rothko, Albers, Reinhardt ou Bridget Riley.
L’artiste peint des séries, des duos, de larges panoramas s’étalant en diptyques.
Le tableau à plat sur le sol, Ola Abdallah peint debout, suspendue au-dessus de son monde pictural, comme la déesse égyptienne Noût. Tout son être entre en relation - sa main avec le pinceau, son geste avec le tableau, son corps avec son esprit.
Rapidement sur six ou sept tableaux à la fois, l’eau séduit la matière, le papier de riz marouflé se plisse et danse. « Dans mon atelier, je suis comme dans un labo, je ne sais pas ce que je vais trouver » dit-elle. L’artiste se projette dans l’espace du tableau pour l’organiser. En rupture avec le concept de la perspective, les lignes structurent l’espace, les contrastes et le clair-obscur le construisent. Les couleurs montent en puissance dans des dégradés du plus foncé au plus clair et inversement.
Ola Abdallah restitue une atmosphère de vibrations colorées capturées dans les rets de la lumière. Chaque tableau trouve sa personnalité dans la chaleur et la vivacité des tons.
L’artiste explore le difficile équilibre des lignes et des couleurs, elle navigue entre les extrêmes, entre Orient et Occident, entre première et dernière touche, entre vides et pleins. Dans un incessant va et vient entre la Nature et l’Art, elle organise son monde sensible, exalte sa sensation tout en la contrôlant jusqu’en ses débords possibles.
Annick Chantrel Leluc Avril 2011 |