Après un baccalauréat Sciences et Technologies du Design et des Arts Appliqués, Vénissia Kay poursuit ses études à l’Ecole de Design ESAA Duperré où elle obtient un Diplôme des Métiers d’Art en céramique artisanale. Elle intègre ensuite l’Ecole des Arts de la Sorbonne pour un parcours menant à une Licence Esthétique et Sciences de l’Art, filière sélective portée sur la philosophie de l’art, les théories du goût et des réceptions.
Inspirée par les environnements urbain et technologique, Vénissia exploite le potentiel réflexif et esthétique qui émerge de nos outils numériques. Son exploration se focalise sur les composants électroniques, l’écran ; mais aussi nos habitudes. A l’aide du medium photographique, pictural et céramique, elle met en place des univers graphiques puisés du présent, pouvant aussi bien évoquer le futur que le rétro.
Son début de carrière fait déjà ressortir un fil conducteur majeur, celui d’un travail abstrait qui vise à magnifier le e-déchet. A travers des jeux de lignes de circuits ou de peinture, dans la mise en valeur du détail, d’un reflet ou de la matière pure, elle fait renaître l’outil en art. En puisant dans leur dernier souffle esthétique, elle tend à attirer l’attention sur un deuxième sens : amener une réflexion sur notre système de consommation, ainsi que de la place et de l’usage de nos technologies.
C’est dans cette lignée que se trouve une autre facette de son travail, cette fois figuratif. Dans des mises en scène photographiées comme dans les photomontages, elle invite à une remise en question de nos habitudes contemporaines. Par son regard observateur et aiguisé, Vénissia Kay laisse transparaître le fond de sa pensée critique. |
De la question de l'acceptation de soi à l'ère des réseaux sociaux
Le phénomène A4 waist challenge, né en Chine en 2016, est un défi ayant pour but de dissimuler son corps derrière une feuille A4 verticale et de poster la photo témoin sur les réseaux sociaux suivi du hashtag #A4waist afin de montrer que l’on possède une « taille de mannequin ».
Se situant à la fois dans une quête de soi et d’acceptation par l’autre, beaucoup de jeunes filles se lancent aveuglément dans la course aux likes, influencées par les médias ainsi que les réseaux sociaux. Ce challenge planétaire amène une vision corrompue voire irréaliste du corps humain – ici de la femme - et risque aussi bien de causer de nombreux cas d’anorexie que de faire accroitre la grossophobie. Il participe à ancrer davantage la pensée selon laquelle la femme se doit d’atteindre un certain idéal, et pour qui ?, ainsi que de faire perdurer une vision de la place de la femme en société, basée sur l’apparence et les futilités.
On conclut trop rapidement – et quelle conclusion naïve - que si les femmes s’appliquent à elles-mêmes cette contrainte de l’apparence, c’est simplement qu’elles désirent être belles. Alors que certains sous-entendent que le problème est personnel, il vient clairement de la pression que nous fait subir notre environnement. Jamais on entendra les médias prôner que la réussite est dans le bien-être – on le sait, cela ne fait pas vendre.
Or les communications virtuelles font partie intégrante de notre quotidien. Elles sont vite devenues des nécessités, des solutions, des banalités. Nous nous trouvons maintenant dans une problématique majeure : vendre de l’utopie, tout en développant la maladie de l’insatisfaction. Le phénomène viral qu’est l’acceptation de soi par le regard des autres – ou les likes – est aussi dangereux qu’il éduque nos jeunes générations, filles comme garçons, à se dévoiler au monde par effet de mode et à juger l’autre dans un esprit compétitif. Aujourd’hui ne le nions plus, le virtuel est notre réalité.
Le scanner me permet de mettre en avant cette relation directe entre la réalité et le virtuel. Les deux s’impactent autant l’un que l’autre. Cette recherche absurde d’être idéal, je le traite au premier degrés : la numérisation du corps au format A4. Le corps se contorsionne, se plie, se positionne. Il se torture à chercher en vain la manière de rentrer dans ce 21 x 29,7 centimètres. Le corps se contraint à passer de son volume à la bidimensionnalité, de sa chair voluptueuse à une feuille de papier tant désirée. Ce corps fragile se voit plaqué, torturé, subissant une pression aussi bien physique que psychique.
A travers les glitchs – soucis de numérisations – dues aux respirations, j’implique que l’humain en tant qu’être vivant et changeant, désiré et désirable, n’a pas sa place dans l’hypocrisie du monde de l’image ; que même en tentant de rentrer dans la case, notre nature nous rattrape, et on nous le fait savoir. Notre corps n’a pas d’erreurs, ce phénomène oui.
Vénissia Kay |